Marc et Céline Pendriez font partie de ces personnes qu’il fait bon rencontrer. J’ai eu ce plaisir un jour radieux de printemps en Languedoc, quand les autres points cardinaux du territoire prennent la douche froide sous un ciel triste et bas. Le Domaine du Quay à Saint-Marcel-sur-Aude avait ouvert ses portes aux « ambassadeurs » de la Côte du Midi, l’Office de tourisme du Grand Narbonne, pour une découverte de la vigne, du chai et des délices-maison préparés par Céline, des croquants aromatiques au pain d’épices, en passant par la terrine fondante et la tapenade goûteuse.
Si je n’avais pas déjà su que l’accueil vigneron existe depuis aussi longtemps que le vin, c’est ce jour-là que je l’aurais découvert, sous sa forme la plus authentique et conviviale.
Depuis des siècles à Saint-Marcel-sur-Aude
L’histoire de la famille Pendriez est indissociable de celle de Saint-Marcel-sur-Aude, charmant village de 2 000 habitants au nord-ouest de Narbonne, dans la plaine alluvionnaire du fleuve Aude, où la culture de la vigne est enracinée depuis le temps des villae, ces grandes exploitations gallo-romaines.
Un acte notarié de 1610 authentifie la donation d’une maison viticole à Jehan Pendriez par son père, une inscription matrimoniale de 1760 atteste qu’un Pendriez exerce le travail de la vigne. En 1844, la première Maison des commerces de vin « Pendriez Frères » est fondée, puis en 1886, Sylvain et Xavier bâtissent le domaine du Quay, avec sa cave – qui stipule la date sur son fronton – et les trois bâtiments appentis qui lui font face.
Après avoir été viticulteurs, les Pendriez embrassent le commerce du vin, saisissant les opportunités du développement du chemin de fer après celle de l’ouverture du canal de Jonction entre canal du Midi et Robine un siècle auparavant, et de la hausse exponentielle de la consommation de vin pendant la révolution industrielle. Le Domaine du Quay est un gros employeur de Saint-Marcel à cette époque.
Il continuera d’être exploité malgré les vicissitudes de la crise viticole de 1907 et des deux guerres mondiales.
Tradition familiale paysanne
En 1977, le père de Marc, Bernard Pendriez, prend la succession du domaine. Après une carrière d’entomologiste à l’étranger, il réintègre la tradition familiale paysanne et occupe les fonctions de maire du village pendant 18 ans. Ses deux fils prennent la relève en 2006, jusqu’au départ d’Olivier en 2023. Marc peut heureusement compter sur Céline, elle-aussi issue d’une famille de vignerons – le domaine de Capoulade à Gruissan, dont le grand-père a été l’un des fondateurs de la cave coopérative. Les cartes de l’organisation et du travail ont dû être rebattues : « 2024 est pour nous une année de transition, les changements sont importants aussi pour notre vie familiale » avoue Céline qui jongle entre la vigne, le chai et… les devoirs de leurs deux filles.
Ce sont 13 hectares de vignes, avec un encépagement classique de syrah, grenache, mourvèdre, cinsault et carignan, pour le rouge, et de chardonnay, sauvignon et viognier pour le blanc, que le couple Pendriez doit bichonner. Auxquels s’ajoutent 2 hectares d’oliviers et 2 autres de pistachiers et amandiers qui réclament également soin et heures de travail. Et même si une partie de la production part à la coopérative « La Vigneronne » à Canet, le Domaine du Quay vinifie en tant que Vigneron Indépendant 5 cuvées en rouge, blanc et rosé, en Vins de Pays d’Aude et Vins de Pays d’Oc. Il vient d’obtenir le label Aude Pays Cathare de la Chambre d’Agriculture.
L’odeur de la terre
Leur histoire familiale respective a inscrit la viticulture dans leurs gènes. Ils ont néanmoins tous deux eu la vocation de la vigne. Marc à l’adolescence, quand il aidait à la taille ou au relevage, Céline lors du stage de licence Commerce des vins qu’elle effectuait à Tours. Ils aiment leur terroir : « C’est notre terre, son odeur, le climat d’ici entre soleil et vent, c’est un peu nous aussi, qui sommes là depuis 13 générations, qui avons hérité d’un savoir-faire et d’une grande passion. » Les terres argilo-calcaires sont sèches, pleines de cailloux, dures à travailler. La vigne souffre et « cela influence l’aromatique de nos cépages et de nos vins, notamment la cuvée Le temps des filles, en 100 % grenache ».
Marc et Céline vivent au rythme des saisons et ils adorent ça. « En hiver, la nature se repose, notre cadence de travail dépend d’elle, lente et routinière. Quand la nature se réveille au printemps, le rythme est beaucoup plus soutenu et les tâches plus diverses. On est « à fond les ballons », mais la nature est tellement belle à regarder ». Puis vient l’été, le temps de la surveillance pour que les ceps n’attrapent pas de maladies avant le labeur joyeux des vendanges, toujours avec un œil vers le ciel et ses menaces potentielles. La cueillette des olives se fait à peu près à la même période.
Diversifier les cultures et les activités
S’ils éprouvent une fierté, c’est celle de « savoir tout faire en quelque sorte, créer un bon produit à partir d’une plante qu’on a soignée, dont on a récolté les fruits, dont on a guidé la transformation… voir tout cela dans la bouteille et pouvoir le faire déguster, c’est en plus un plaisir. »
Ils ont aussi la satisfaction de pouvoir embaucher, nourrir leur famille et contribuer à faire vivre d’autres corps de métier dépendant du leur.
Pour combien de temps ? « L’avenir, nous ne le voyons pas trop positivement… La consommation de vin a diminué, c’est aussi pour cette raison que nous nous diversifions, dans la culture d’autres espèces et dans nos activités. » Le caveau est ouvert deux fois par semaine, on y croise des Saint-Marcellois comme des touristes étrangers, au détour d’une promenade sur le Canal du Midi ou d’une visite au village typique du Somail, tout proche. Dès la fin avril, le domaine accueille plusieurs vendredis par mois pour son « Tro’Quay », une sympathique guinguette où les fromages de chèvre du village voisin, la charcuterie locale, les huîtres de Leucate et autres spécialités du foodtruck accompagnent une « Belle de nuit » – assemblage tout en fraîcheur de sauvignon et viognier – ou un joli « Ciel bleu » – rosé fruité et gourmand issu de syrah et cinsault.
Un domaine comme une place de village
Le décor s’y prête. L’immense cour bordée de lauriers roses et de roues égarées par leurs charriots d’antan, chargés sur le « quay » de leurs précieuses barriques, rappelle la place de village, vivante, bruyante, où les gens de l’eau se mêlaient à ceux de la terre les jours de marché ou de bal. Dans le caveau, un vieux foudre – il y en a eu jusqu’à onze à l’Âge d’or viticole, où l’aramon languedocien abreuvait tous les ouvriers de France – jouxte les cuves en acier et en béton rouge, surplombant les cuves souterraines qui servent d’estrade aux musiciens. Des outils, robinets et raccords de cuve centenaires voisinent avec de vieilles photos et d’antiques cafetières colorées ; les étagères proprettes qui présentent les flacons, l’huile d’olive et les Lucques du domaine, accompagnés par des confitures maison aux bons fruits mélangés, sont surveillés par de drôles d’oiseaux en métal, œuvres de Gilbert Parra – La Gilbe pour les Saint Marcellois – employé de la municipalité et surtout extra-ordinaire artiste qui transforme les vieux outils qu’il déniche en œuvres singulières, comme dotées de vie.
Tout ici porte l’empreinte du temps et des temps partagés. Une affiche au-dessus du comptoir précise : « Au Domaine du Quay, on aime boire, manger et papoter… On se cherche et on se trouve… On sait voir venir les ans et surtout se satisfaire du présent. »