Au pays de grands rouges, on fait aussi d’excellents blancs ! René-Henry et Florence, propriétaires de Château Guéry, domaine viticole situé à Azille, au cœur du Minervois, s’y emploient avec cœur et ferveur.
Le vignoble du Minervois se déploie comme un amphithéâtre aux vastes gradins, des plaines de l’Aude jusqu’aux contreforts de la Montagne Noire. Il repose sur une mosaïque de sols des plus singulières : marnes gréseuses, argile sèche, calcaire dur, côtoient terrasses caillouteuses, argilo-calcaires, marbre et schiste… Il abrite l’aire du tout premier « cru » reconnu dans le Languedoc, en 1999, l’AOP Minervois-La-Livinière qui s’étend sur cinq communes du département de l’Hérault et… celle d’Azille dans l’Aude.
La terre de Château Guéry, ce sont des ilots qui vont de 10 ha à des parcelles de 40-90 ares, avec un encépagement adapté aux différents types de sol, que René-Henry a plaisir à étudier. Si le lien entre le caractère d’un vin et le sol sur lequel les fruits ont mûri est évident et que les différents cépages ont certes des sols de prédilection, la terre n’est qu’une des constituantes de ce qu’on a baptisé le terroir, comme une palette de couleurs mise à disposition du vigneron. N’est-ce pas lui qui compose avec la compréhension de son environnement, les aléas des saisons et le savoir-faire acquis, pour exprimer la typicité de ce dit terroir ?
La connaissance des sols de la vigne, un héritage paternel
Sur le domaine morcelé de Château Guéry, s’épanouissent un tiers de grenache, syrah, mourvèdre, en AOP Minervois et La Livinière, un tiers de cépages rouges « un peu décalés » comme le pinot noir ou le cabernet franc, et un dernier tiers de blancs comme le sauvignon, le viognier ou le chardonnay, plus récents sur le domaine et tous en bio. « La connaissance du sol, mon père me l’a transmise », témoigne René-Henry, mais ce goût pour l’observation et l’adaptation semble bien être la signature d’un homme curieux et entreprenant.
« Que faire sur quelle parcelle ? J’aime ce stress du printemps, c’est là qu’il y a le plus d’enjeux. Tous les ans, nous plantons d’autres cépages. » Pour le gewürztraminer, cépage extra-ordinaire en Languedoc, il a choisi la parcelle la plus calcaire du domaine. « Le résultat n’était pas gagné d’avance, l’originalité de cette cuvée en mono-cépage n’a pourtant d’égal que sa finesse et son explosion aromatique, rose, litchi, épices, pour de beaux accords mets-vin ! » Les restrictions en eau de 2023 et un bon tiers de la récolte perdu à cause de la sécheresse, lui font envisager l’assyrtiko pour 2025, cépage blanc grec qui résiste aux vagues de chaleur et au vent, et produit des vins au bel équilibre acidité-minéralité, avec des arômes de fruits exotiques, d’agrumes et des notes florales. « Sélectionner, n’est-ce pas d’une certaine façon être créateur ? », se demande-t-il au regard de la foi profonde qui les anime, lui et Florence.
La vinification des blancs requiert une grande précision
René-Henry, président de la communication de l’AOP Minervois, produit d’élégants vins rouges, comme les cuvées « Magnifique », en AOP La Livinière, ou « Les Éolides », en hommage au tourbillon du vent sur le Minervois, qui a inspiré l’œuvre éponyme de César Franck, composée lors de sa villégiature à Azille. Il apprécie toutefois particulièrement la vinification des blancs, la précision qu’elle requiert, que ce soit à goûter dans la vigne pour fixer le jour de la récolte, à presser dès que le fruit arrive en cave, mais pas trop vite pour réduire le contact avec la bourbe, jusqu’à l’intervention sur la température. « On ne part pas de trop haut, les nuits sont fraîches aux abords de la Montagne Noire et on vendange à partir de 4 heures. » Pour les rouges, il ne pousse pas non plus l’extraction trop loin pour éviter une rusticité des tanins. « Le caractère du vigneron influe sur les vins », avoue celui dont la sensibilité comme la force paisible pointent sous des dehors plutôt bourrus.
Château Guéry est une histoire familiale
Pour lui et Florence, « patience et longueur de temps sont des vertus que la nature nous impose ». C’est sur un temps long que le nom Guéry s’est forgé à Azille, au moins depuis le XVIIème siècle. L’agriculture était dominée par la culture des céréales – les blés d’Azille étaient les plus réputés du Minervois – accompagnée de celle de l’olivier et de la vigne, d’élevage et de la production de miel. L’Âge d’or viticole au XIXème siècle marque un tournant dans l’histoire familiale, les Guéry consacrent la totalité de leurs surfaces – 6-7 ha – à la culture de la vigne. L’essor de la viticulture, favorisé par celui du chemin de fer, change la physionomie du village où tous les métiers du vin sont présents. La famille connaîtra la crise de 1907 provoquée par la mévente et le vin de fraude, mais conservera son vignoble. Le courage et la vitalité du monde vigneron ne sont pas de vains mots… Le grand-père de René-Henry agrandit les surfaces exploitées, achète la maison familiale au milieu du village, en grès typique des bâtisses azilloises, suivi par Antoine, son père, qui l’accroît à 25 ha, plante de nouveaux cépages et modernise l’outil de production. Les vins sont alors entièrement voués au négoce.
Après un BTS Viti-Oeno et une formation de technico-commercial, René-Henry se prépare à partir pour l’Argentine comme chef de culture de l’exploitation Santa Rita. En août 1997, il se rend à Paris aux Journées Mondiales de la Jeunesse. Florence, qui a terminé ses études pour être institutrice, se trouve elle-aussi parmi les 300 000 jeunes du monde entier, portés par le charisme du pape Jean-Paul II. Santa Rita attend encore, elle n’est pas pour rien la patronne des causes perdues… !
Le couple s’installe au domaine et se marie en 1999, dans l’ancienne écurie des chevaux de trait. Avec une idée en tête : aller « jusqu’au bout de l’aventure », c’est-à-dire vendre son vin en bouteille. Les débuts ne sont pas faciles, il faut progresser pas à pas, tout en se hâtant pour arriver à faire vivre deux familles. Antoine et Maguy, les parents de René-Henry, prennent leur retraite en 2001, tout en continuant à les accompagner.
Construire sa propre histoire vigneronne
La première cuvée, « Tradition » (« Grès » aujourd’hui, en référence à son sol) est vinifiée dès 1998, 2004 voit l’inauguration du caveau, les années suivantes la rénovation de la cuverie, la création d’un bâtiment de conditionnement et de stockage, l’achat de bâtiments jouxtant la cave et le caveau, ce qui fait de Château Guéry un domaine implanté au centre du village. En 2023, clap de fin des travaux d’agrandissement de la cave et création d’une salle de réception et d’un espace de dégustation, le Belvédère, qui surplombe les toits en tuiles d’Azille.
Il faut effectivement de la longueur de temps pour perpétuer une histoire familiale et construire sa propre histoire. Après 25 années de conduite du domaine avec Florence, René-Henry exploite aujourd’hui 40 ha de vignes, secondé par une équipe de 4 personnes. Le couple exporte plus de 40 % de sa production et peut compter sur une clientèle fidèle, aussi bien sur le réseau CHR, les cavistes et les particuliers qui sont accueillis quotidiennement au caveau.
« Quand chaque millésime est un nouveau défi, nous entretenons notre patience, celle qui sous-tend toute une vie », pour accompagner la croissance de 3 beaux enfants et de vignes généreuses, dans le respect de leurs particularités et l’accueil des lois de la nature.
« Nous élevons les fruits de notre travail »
Florence et René-Henry cultivent aussi la confiance, pour se laisser conduire par le vivant et par l’anima, le souffle de l’esprit, élever les fruits de leur travail et faire œuvre de co-création. Le couple a baptisé 7 de ses cuvées : Sophia, Intelligence*, Conseil*, Force, Connaissance, Piété et Adoration, « nommées d’après l’expérience que nous enseigne chaque parcelle qui la porte ». « Adoration », par exemple, est un 100 % mourvèdre, « un vrai cépage de viticulteur car rien au vignoble n’est laissé au hasard. Il nous fait comprendre que nous devons sans cesse, par nos gestes vignerons, nous adapter à la nature et que c’est elle qui commande. Très délicat à la cave, il s’exprime ensuite dans le temps.»
Il faut enfin une impulsion tous les jours renouvelée, une espérance que les œuvres réalisées dans notre temps humain le sont aussi pour un temps infini. La relève est assurée à Château Guéry, Éloi seconde déjà ses parents. Florence lance un regard clair et énergique vers l’avenir, René-Henry l’appuie d’une intensité inspirée.
** Les deux cuvées Intelligence (viognier) et Conseil (gewürztraminer), millésime 2023, ont été retenues par les dégustateurs nationaux et internationaux de Pays d’Oc, premier label français de vin IGP, pour faire partie des 63 vins-ambassadeurs du Languedoc-Roussillon. Une reconnaissance méritée !