Propriétaire du Château Prat de Cest, domaine viticole chargé d’histoire dans l’aire de production de l’appellation Corbières, Guillaume évoque son métier de vigneron et l’orientation résolument œnotouristique qu’il prend aujourd’hui en complément de son cœur d’activité.
C’est un trentenaire au regard à la fois doux et déterminé, qui dégage une force tranquille et s’ouvre avec naturel à toutes les questions. Fils de médecins, il grandit à Bordeaux, démarre lui-même des études de médecine, pour réaliser en 4ème année que c’est surtout la biologie qui l’intéresse. De là à la vigne, il n’y a qu’un pas et surtout un certain atavisme : sa famille a exploité jusqu’à neuf propriétés viticoles depuis 1804, trois plus récemment, dont Château Dudon à Barsac, géré par son frère, Château Moyau dans la Clape, qui n’est plus dans la famille, et enfin Château Prat de Cest.
“Je suis devenu gestionnaire de patrimoine”
Guillaume retourne sur les bancs de l’école, passe une licence en droit et gestion de la filière viti-vinicole et son brevet professionnel de responsable d’exploitation. Le domaine est alors géré par son grand-père, le médecin Jacques Saumade, dont il va en quelque sorte devenir le régisseur. Ce n’est pas une cuillère d’argent qu’on lui a mis dans la bouche… Il doit travailler deux fois plus, est payé moitié moins, puis doit reprendre les dossiers administratifs et la comptabilité lorsqu’il succède à son aïeul. Il prend conscience qu’il est devenu le gestionnaire d’un patrimoine familial, culturel et historique, avec la responsabilité d’en assurer la pérennité.
Il faut dire que Château Prat de Cest est un « site patrimonial remarquable », situé sur l’antique Via Domitia romaine, et qu’il porte dans ses murs l’empreinte de la grande histoire de la région, de la romanité à la guerre de Trente Ans, en passant par l’époque wisigothique et le règne d’Ermengarde, la célèbre vicomtesse de Narbonne. Il a hardiment traversé les âges et recèle des trésors pour le passionné d’histoire.
Guillaume exploite aujourd’hui, avec un salarié, un domaine de 60 hectares, dont 32 en vignes et 3 en oliviers et amandiers. Avec un encépagement classique pour les Corbières, grenache et syrah pour 80 % ainsi que carignan et mourvèdre, en rouge, grenache blanc et rolle sur deux hectares, en blanc. Le parcellaire est resté le même depuis que sa famille a acquis le domaine en 1804. Environ 10 % de la production est mis en bouteille au château, distribué au caveau, chez les cavistes, dans les restaurants de Narbonne, ou encore exporté en Chine et proposé au salon mondial Millésime Bio qui a lieu tous les ans à Montpellier.
Le bio, un choix économique et personnel
Pour Guillaume, la pratique culturale en bio est un choix à la fois économique et personnel. « Le respect de la nature et du terroir font partie de l’héritage qui m’a été transmis. Le terroir, c’est la région, le sol, le climat et aussi un savoir-faire, qui est là pour lui donner une expression. »
Son cépage préféré est la syrah : « même en peinant, elle trouve à s’exprimer. » Poussée en surmaturité, elle donne de l’élégance à l’assemblage et des tanins doux comme de la soie. Carignan et grenache sont pour leur part vinifiés plus tôt.
À la question de la tâche qu’il préfère et celle qu’il abhorre, une réponse unique : la taille. « C’est bien 15 jours, on est dehors, on pense au printemps et à comment ça va pousser. Mais avec 32 hectares, les semaines de taille en mettent plein le dos à mon 1,85 mètre ! Les oliviers, en comparaison, se taillent rapidement, en avril dans d’agréables conditions climatiques… »
Guillaume vinifie deux cuvées en blanc, une en rosé et les autres cuvées en rouge, principalement en AOP Corbières. Il préfère travailler le rouge, qui a selon lui une grande palette d’expression. « Le blanc et le rosé sont des vins technologiques, on fait des réglages et on manipule des boutons… Un vin rouge se fait dans la vigne : un mauvais raisin donnera un mauvais vin. Pour cela, les tâches de la vigne et la date des vendanges sont essentielles. » La cuvée « Ermengarde », avec sa belle maturité polyphénolique, est la plus influencée par le terroir. Et celle qui lui ressemble le plus peut-être… « Le vigneron fait les vins qu’il aime. Et Ermengarde, c’est un vin porteur d’histoire, de patrimoine et de transmission. »
S’adapter face au changement climatique
Ce sont les effets du changement climatique, principalement, avec des saisons de croissance plus longues et des périodes de sécheresse plus fréquentes, qui lui ont fait changer de paradigme. « Pour faire face à ces défis, nous investissons dans des pratiques agricoles durables, comme la conservation de l’eau et l’adaptation de nos cépages. Mais à terme, l’accès à l’eau sera de plus en plus difficile : même pour la vigne, ça ne sera pas assez. »
Le biais de l’oenotourisme, avec la diversification des activités sur le territoire du domaine, est un autre moyen d’assurer sa pérennité. « Et puis l’accueil existe depuis toujours dans la mentalité vigneronne. On a envie de se raconter. Quand on vend son vin, à la différence de la grande surface, et même du caviste, c’est la visite d’un lieu, l’authenticité, l’intérêt qu’on arrive à susciter qui vont déterminer l’achat. Et au moment de déguster son vin, la personne aura une histoire à raconter autour de la bouteille. »
Depuis une décennie déjà, le château abrite des gîtes que Guillaume a lui-même retapés. A la belle saison, l’ambiance est festive quasiment tous les week-end avec l’accueil de mariages.
Diversifier les activités proposées
À partir de juin et jusqu’à octobre, plusieurs formats de visites seront proposés aux visiteurs : une visite de 45 mn, parcours des salles historiques et dégustation de 3 vins ; une autre de 90 mn, incluant la visite de la cave et la dégustation des 7 vins du domaine ; pour les fans d’histoire de la région et les curieux du travail de la vigne, un format de 3 heures pourra être réservé avec Vitis Fabula, qui se terminera par une dégustation gourmande, 7 vins accompagnés de produits du terroir. Les visiteurs pourront également se rafraîchir à un stand de glaces artisanales. Et trois fois en juillet et août, la cour du château accueillera une guinguette pour célébrer l’été et les vacances en musique. « La dynamique de l’événementiel en sera une pour le château lui-même. Un cadre convivial et authentique qui va de pair avec l’accueil que nous avons évoqué », ajoute Guillaume.
Ce virage de la diversification n’a pas été sans une forme de remise en question. Même si le cadre de Prat de Cest est idyllique, le quotidien est loin de ce qu’on se représente de « la vie de château ». « En plus des défis liés au climat, j’étais économiquement au bout de mon modèle. Je me suis associé avec un négociant avec lequel je travaillais déjà, et sa fille, Manon, qui s’occupera plus spécifiquement de la partie touristique et événementielle. Je n’ai pas le temps pour cela et je veux garder mon cœur de métier. L’équation foncier/cash s’est ainsi bien résolue… » Le nombre d’hectares exploités va diminuer. « Si 10 hectares sont valorisés au maximum, ce sera bien. Le modèle sera orienté sur le château lui-même. »
Travailler pour transmettre
La remise en question s’est accompagnée d’une période de dur labeur, pour que tout soit en place en juin. Il a fallu gérer le courant du viticulteur et vigneron, le réaménagement de certains espaces de visite, comme la forge, la mise en place d’un chai à barriques… « La chance de l’héritage comporte quelques inconvénients, c’est normal. Je suis vigneron et gérant de patrimoine : Prat de Cest, c’est un château, c’est un domaine historique comme il y en a peu dans la région, et c’est aussi une histoire de générations et de transmission. »
Après avoir pris ce virage, l’horizon de Guillaume porte un nom : Margot, 110 cm d’espièglerie et de raisons d’avancer.