Est-ce que Fêtes et Famille sont antinomiques, comme j’ai pu le lire hier sur le mur d’un passage du Quartier Latin ? « Joyeux Noël tout de même », poursuivait l’inscription au pochoir, signée @Déni_de_Malice.
Non, toutes les familles ne se déchirent pas autour de la dinde et le vin de la fête ne finit pas toujours répandu sur le damas de grand-mère après la brusque expulsion d’une rancœur fratricide.
Le nectar des dieux
Le vin, consubstantiel des temps de réjouissances, est lié à Dionysos ou Bacchus, qu’on soit chez les Grecs ou les Romains. Les dieux de l’Antiquité ont une pluralité de visages et Dionysos est ainsi le dieu du banquet et de la fête, parce que celui de la viticulture et du vin. Il a inventé le « nectar des dieux » en pressant de ses mains les fruits du corps métamorphosé en cep de son amant Ampélos, comme un sang nouveau jailli pour l’aider à surmonter la perte de l’être cher. On comprend ainsi la dimension christique qui entoure Dionysos/Bacchus, seul dieu à la double naissance – il naît une première fois du ventre de sa mère et une seconde fois de la cuisse de Jupiter son père – et créateur d’un élixir de vie et de consolation.
Si l’iconographie n’a que peu perpétué la mémoire d’Ampélos, nombreuses sont, par contre, les reproductions de Dionysos avec son cortège de ménades échevelées et de satires en rut faisant tournoyer et rugir des rhombes. Il est donc le dieu – au caractère un peu sauvage – de la fête, mais aussi le dieu du masque : il est à l’origine des premières représentations théâtrales, les dithyrambes, données au cours des fêtes célébrées en son honneur.
Bas les masques
Lors du repas de fête, le vin n’a-t-il pas justement le pouvoir de faire tomber les masques et, parfois, de transformer la tablée en arènes vociférantes ?
Kirkegaard, dans son récit philosophique In vino veritas, voit dans le vin un intermédiaire vers une meilleure connaissance de soi. « Il fallait se trouver dans cet état où l’on parle beaucoup et malgré soi… » D’autres auteurs, au fil des siècles, ont attribué au vin le pouvoir de délier la langue, libérer la parole et de se dévoiler tel que l’on est, tout en prônant la juste mesure et la conscience de ses propres limites. Il ne s’agit pas de s’entraîner à boire et de rechercher un taux d’alcoolémie idéal, comme les protagonistes de Drunk, le film de Thomas Winterberg. L’expérience ne se termine pas bien pour au moins l’un d’entre eux… Mais plutôt de trouver, dans le plaisir du « boire ensemble », l’équilibre entre l’ouverture du cœur et la perte de contrôle. N’en déplaise aux hygiénistes, pisse-vinaigre et autres éteignoirs d’ambiance, le vin est une délicieuse constante dans notre histoire et nous pouvons, même devons, être fiers des terroirs, traditions et savoir-faire qui participent à la renommée de notre culture.
Le choix du vin
Si vous offrez du vin pour ce repas de Noël, intéressez-vous aux raisons de votre choix.
On écartera d’emblée celle d’épater la galerie familiale avec le dernier breuvage à la mode qui ne devrait même pas porter le nom de « vin ». Celle aussi de faire étalage de sa générosité ou même de ses moyens avec une appellation illustrement onéreuse. Ou encore celle d’avoir uniquement fait confiance à son caviste pour ne pas se tromper dans l’accord met-vin.
Offrir un vin, n’est-ce pas pour l’essentiel avoir envie de faire découvrir un nectar qu’on a déjà goûté et apprécié, dont on désire partager les sensations et les émotions qu’il vous a procurées ? N’est-ce pas vouloir rendre hommage à ses hôtes et à un artiste-vigneron en sublimant leurs créations gustatives respectives par l’atteinte d’une harmonie des saveurs en bouche ? Je vais passer Noël avec une excellente cuisinière qui toute sa vie aura mis « les petits plats dans les grands », et avec son époux, plus adepte des choses de l’esprit. Ils sont très pieux… un peu trop à mon goût… et n’auront fort heureusement pas à pardonner mon irrévérence, n’étant pas sur les réseaux ! Sociaux, eux le sont, qui pratiquent l’accueil, le partage et l’amour de leur prochain. Leur foyer est comme un petit Bethleem où famille et connaissances convergent pour expérimenter le bonheur d’être ensemble autour de la table.
L’accord du coeur
Pour accompagner la dinde aux marrons, j’ai choisi « Deo Gratias », une élégante cuvée en rouge du domaine Les Vins de Fontfroide. « Grâces (soient rendues) à Dieu », comme le chantaient les moines cisterciens de l’abbaye languedocienne. Un vin généreux et onctueux, à l’aromatique de cassis et framboise, sous-tendue par des nuances épicées et cacaotées. C’est le vin d’une amie battante et passionnée qui, avec sa belle équipe, perpétue l’histoire vigneronne dans les Corbières. « Deo Gratias » est d’ailleurs le nom de l’imposante et symbolique croix en fer forgé qui brave les intempéries du haut du rocher surplombant le massif de Fontfroide.
Alors, « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » ? Sans vouloir contredire Monsieur de Musset, le flacon importe grandement pour avoir l’allégresse ! Je souhaite que cette allégresse inonde tous nos repas de fête et remplisse nos cœurs.