Plantons le décor : de multiples facettes de vert, allant du moiré des feuilles au brillant des petits fruits ovoïdes, offrant leur peau lisse et luisante à la chaleur du soleil. Nous ne sommes pas, bien sûr, en pleine jungle colombienne comme dans le très divertissant film d’aventures de Robert Zemeckis avec Michael Douglas, « À la poursuite du diamant vert », qui a déjà… 40 ans… (toute pensée se perdant sur l’âge de la rédactrice de ce propos serait impertinent !). Mais dans notre beau Languedoc qui, depuis 2017, est l’aire d’appellation d’origine protégée (AOP) de la Lucques, une olive qui présente une forme distinctive en croissant de lune, surnommée « diamant vert » parce qu’autant sa production que ses propriétés organoleptiques en font un fruit unique et précieux.
La culture de l’olivier, comme celle de la vigne, a été introduite sur les côtes méditerranéennes par les Phocéens, quelques 600 ans avant notre ère, même si le climat sec propre à nos contrées avait favorisé l’apparition des deux espèces plusieurs milliers d’années auparavant. C’est sous l’Antiquité romaine que l’art de les tailler en fera deux des fleurons de notre agriculture locale.
La Lucques porte le nom de sa ville de naissance, Lucca, dans la somptueuse région de Toscane. Elle est l’un des symboles de son patrimoine agricole et gastronomique. Lucca est également la ville de naissance du géant de l’opéra Giacomo Puccini, compositeur de La Bohême, Tosca ou Madame Butterfly, grand amateur des plaisirs de la table. Son nom n’est pourtant pas associé à l’olive de Lucques mais à un plat de haricots mijotés à l’ail et à la sauge, « à la Puccini » !
La « Lucques du Languedoc » s’épanouit dans une zone géographique de près de 300 communes de l’Aude et de l’Hérault, délimitée par sa sensibilité à des conditions climatiques particulières, qui doivent réunir un soleil généreux car le « lucquier » craint plus le gel que d’autres oliviers, une relative sécheresse, un sol bien drainé, ainsi que, tout spécialement, une exposition au vent – aussi généreux en Languedoc que le soleil… – qui permet la pollinisation des fleurs par celles des oliviers qui l’entourent. La floraison de la Lucques est d’ailleurs précoce, quinze jours environ avant celle des autres espèces.
Sa production obéit à des pratiques artisanales : la taille intervient chaque année au printemps pour permettre l’épanouissement de l’arbre, l’irrigation au goutte-à-goutte est autorisée, le rendement ne peut dépasser 8 tonnes à l’hectare. Surtout, les olives sont récoltées vertes, c’est-à-dire pas mûres – s’il est besoin de le préciser, l’olive noire est une olive arrivée à maturité et pas une variété différente de la verte ou la résultante d’une coloration (!). Elles sont cueillies une à une à la main, directement sur l’arbre, et versées délicatement, pour ne pas les endommager, dans des caisses à claire voie de 20 kg maximum, avant tri et calibrage chez le confiseur : 37 fruits au 100 grammes, pas un de plus. Elles seront ensuite désamérisées pour les rendre propres à la consommation, selon la méthode de fermentation lactique réduite, puis conservée en saumure avec un taux de sel précis pour préserver leurs arômes délicats.
Ces méthodes de production exigeantes, combinées aux conditions naturelles particulières pour son épanouissement, sont les conditions premières de sa reconnaissance en AOP. Mais ce sont surtout ses caractéristiques gustatives qui font de la Lucques, l’olive gastronomique par excellence. Goûter une Lucques pour la première fois relève de l’expérience sensorielle. Sa texture est ferme sans craquer sous la dent, sa chair fondante et douce caresse le palais avant de livrer des saveurs de noisette fraîche et d’avocat beurré, avec des nuances d’asperge verte et de brocoli. L’huile d’olive de Lucques, jaune d’or avec de jolis reflets verts, procure également d’exquises sensations en bouche, notes fruitées et herbacées, avec de subtiles touches de torréfaction, même si la faible teneur en huile et le profil gustatif de la Lucques en font surtout la « Rolls » des olives de table.
Et que dire de son association avec un verre de vin, du blanc au rouge, si ce n’est que les saveurs se mêlent et que l’onctuosité du fruit sublime la dégustation du nectar ? L’accord parfait.
Le clap de fin de la récolte des Lucques a été donné il y a quelques jours, alors que les vendanges rythment encore la vie de la campagne languedocienne. Le millésime ne sera pas marqué par la quantité, un épisode de pluie ayant perturbé le temps de la floraison. Cela sera sans conséquence sur la qualité, mais le prix des petits diamants va leur faire prendre un autre surnom : l’or vert !